Letizia Battaglia・

Letizia Battaglia・

Un regard en noir et blanc brut et intense

Cette Italienne autodidacte a photographié au plus près la misère et la violence mafieuse en Sicile.

Quelle est la bonne distance pour prendre une photographie ? Celle d’un coup de poing ou d’une caresse, disait la photographe sicilienne Letizia Battaglia (1935-2022).

Appareil en main, elle s’approchait de ses sujets, que ce soit des jeunes filles qu’elle portraiturait avec tendresse ou des victimes de la Mafia dans le Palerme des années 1970 à 1990. Au plus près de la vie et de la tragédie, s’y incluant et nous y entraînant.

Énergique, courageuse, Letizia Battaglia s’est lancée dans la photo de presse en autodidacte et sur le tard, après un mariage à 16 ans, trois enfants et un divorce à 36 ans. La rétrospective présentée à Tours retrace sa carrière en près de deux cents photographies en noir et blanc, un choix artistique dont elle estimait qu’il respectait davantage la dignité des personnes photographiées.

Les clichés documentant les crimes de la Mafia, les arrestations ou les procès dominent le parcours. Dramatiques et d’une brutalité que jamais Letizia Battaglia n’occulte. Elle les compose comme des pièces de théâtre, alors qu’ils sont pris dans l’urgence de l’actualité, qu’elle a couverte pour le journal de gauche L’Ora avec son compagnon, le photographe Franco Zecchin.

Ainsi de cette matrone aux pieds nus, hurlant face au corps de son mari abattu dans la rue alors qu’il partait acheter des pâtisseries. Impossible, aussi, de ne pas frémir devant cette madone hagarde, photographiée en 1978. La jeune mère tient dans ses bras son bébé à la main bandée, car grignotée par un rat : épuisée, elle dormait et n’avait pas entendu les cris de l’enfant.

Montrer la violence et la misère la plus insoutenable pour témoigner et dénoncer : une démarche militante irrigue aussi le travail de Letizia Battaglia.

Mais le parcours thématique et chronologique va au-delà de cette noirceur, dévoilant d’autres clichés de la Sicile, des portraits d’enfants dans les rues — dont celui, célèbre, de la jeune fille au ballon de foot — aux images pleines de mordant des aristocrates siciliens, comme celles, truculentes, de baigneurs sur une plage populaire.

Sans doute aurait-il gagné à être resserré, car les photos érotiques (prises par Battaglia à ses débuts dans les années 70, pour gagner sa vie) ou celles tirées de reportages à l’étranger se révèlent moins puissantes que les clichés palermitains.

Un tiers seulement des tirages exposés sont d’époque. Dans les autres — contemporains —, les noirs sont souvent moins marqués. Mais on retrouve dans ces épreuves plus récentes les contrastes qu’elle recherchait, comme cette ombre coupant en deux un visage aux yeux clos : celui de la veuve d’un garde du corps du juge Giovanni Falcone, assassiné avec le magistrat en 1992.

Une image intense, comme l’était Letizia Battaglia.

Exposition à découvrir jusqu’au 18 mai -25

CHÂTEAU DE TOURS・25. Avenue André Malraux 37000 TOURS

www.chateau.tours.fr

 

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