À Bâle, les photos monumentales du Canadien, stupéfiantes de réalisme et pourtant savamment mises en scène, interpellent nos imaginaires.
Les images de Jef Wall ne cessent jamais d’interroger le visiteur.
In Basel, the Canadian’s monumental photos, stunning in their realism yet skilfully staged, engage our imaginations.
Jef Wall’s images never cease to question the visitor.
Ainsi de cet homme, assis par terre dans une rue de Vancouver, qui envoie gicler dans un geste rageur le lait de sa bouteille (Milk, 1984) : pourquoi s’énerve-t-il ? Et cette petite fille couchée sur un trottoir à Los Angeles aux pieds de son père (Parent Child, 2018) : est-elle en train de rêver ou de se rebeller ? Mystère.
Comme toujours, face aux monumentales photographies du Canadien de 77 ans, il revient au visiteur d’imaginer l’avant et l’après de la scène qu’il a sous les yeux. L’exposition de la Fondation Beyeler réunit cinquante-cinq clichés en grand format réalisés entre 1982 et 2023, dont plus de la moitié ces vingt dernières années. Ils sont présentés par ensembles, regroupés en thématiques (paysages, personnages…).
As for this man, sitting on the ground in a Vancouver street, who angrily squirts the milk from his bottle (Milk, 1984): why is he getting so angry? And this little girl lying on a Los Angeles sidewalk at her father’s feet (Parent Child, 2018): is she dreaming or rebelling? A mystery.
As always, when confronted with the 77-year-old Canadian’s monumental photographs, it’s up to the visitor to imagine the before and after of the scene before their eyes. The Fondation Beyeler exhibition brings together fifty-five large-format photographs taken between 1982 and 2023, more than half of them in the last twenty years. They are presented in sets, grouped by theme (landscapes, figures, etc.).
Aux fameuses light boxes des années 1980 à 2005 — des diapositives montées sur caissons lumineux pour en exalter les couleurs — se mêlent des clichés en noir et blanc, aux fines teintes de gris, pris à partir de 1996. Quant à ses récents polyptyques, ils confèrent aux images un caractère étrange, car le lien entre chaque volet composant ces grands panneaux n’est jamais explicité. Si le visiteur plonge dans les moindres détails de ces photographies, c’est parce qu’il s’en dégage un saisissant réalisme.
Cet enfant qui tombe de l’arbre ? Ce coup de vent qui envoie valser les feuilles de papier d’un homme d’affaires en costume ? Il s’agit pourtant d’instantanés minutieusement fabriqués.
The famous light boxes from 1980 to 2005 – slides mounted on light boxes to exalt their colors – are mixed with black-and-white shots, with fine shades of gray, taken from 1996 onwards. As for his recent polyptychs, they give the images a strange character, as the link between each panel is never explained. If visitors are drawn into the smallest details of these photographs, it’s because they are so strikingly realistic.
A child falling from a tree? That gust of wind that blows the sheets of paper away from a businessman in a suit? Yet these are meticulously crafted snapshots.
Jef Wall, qui parle d’ailleurs de « cinématographie » pour qualifier ses mises en scène, part de moments observés dans la rue, de ses souvenirs d’enfant et de références à l’histoire de la littérature et de l’art.
Le Penseur (1986) évoque ainsi, inévitablement, la sculpture de Rodin, autant qu’un croquis du dessinateur et peintre Albrecht Dürer (1471-1528), où un paysan vaincu est représenté une épée plantée dans le dos. Wall identifie ensuite un site de tournage, fait jouer des comédiens amateurs et recrée avec soin la scène qu’il a en tête. Le tout formant, selon lui, un « quasi-documentaire ».
Même les images jouant avec le fantastique, telle cette tombe ouverte renfermant des fonds marins (The Flooded Grave, 1998- 2000), représentent des hallucinations dont on pourrait être victime.
La photographie la plus récente de l’exposition, datant de 2023, montre une femme assise dans une librairie, songeuse, tenant une chaussette à repriser, mais aucune aiguille. Elle nous indique, comme dans toute l’œuvre de Wall, que c’est à nous de saisir le fil de l’histoire.
Jef Wall, who describes his stagings as « cinematographic », takes as his starting point moments observed in the street, his childhood memories and references to the history of literature and art.
The Thinker (1986) thus inevitably evokes Rodin’s sculpture, as much as a sketch by the draughtsman and painter Albrecht Dürer (1471-1528), in which a defeated peasant is depicted with a sword stuck in his back. Wall then identified a filming location, cast amateur actors and carefully recreated the scene he had in mind. The result, he says, is a « quasi-documentary ».
Even images that play with the fantastic, such as the open tomb containing the ocean floor (The Flooded Grave, 1998-2000), represent hallucinations that we could fall victim to.
The most recent photograph in the exhibition, from 2023, shows a woman sitting in a bookshop, pensive, holding a sock to be darned, but no needle. It tells us, as in all Wall’s work, that it’s up to us to grasp the thread of history.
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