Doubles Jeux・

Doubles Jeux・

Portrait d’une figure en clair-obscur

Sous la Terreur parisienne, quand le cœur de la ville tremble sous la lueur des lanternes, entre fumée, espionnage et travestissement, se dévoile Doubles jeux (Damien MacDonald / Pauline Valade), un roman graphique qui ne se contente pas de raconter l’histoire : il la fait vibrer, la trouble, la retouche à l’aune de nos préoccupations modernes.

L’objet central de cette BD, c’est le Chevalier d’Éon (1728-1810) – un personnage double, mystique, diplomate, espion, courtisan, bretteur, défenseur d’un genre incertain, toujours oscillant. Être homme un jour, femme le lendemain, selon l’humeur et la nécessité, selon l’escrime ou le masque : le Chevalier porte sur ses épaules tout un siècle de conventions, de censure, de secrets.

Damien MacDonald installe la scène : Étienne-Gaspard Robertson, illusionniste, menacé par la Garde nationale, décide de monter sur scène une fantasmagorie politique, en exposant le Chevalier d’Éon comme symbole de liberté, de défi. Ce qui devait être spectacle devient provocation ; ce qui devait être récit, miroir.

Le dessin, tout en couleurs, rend hommage au XVIIIᵉ siècle sans le pasticher. Architecture étroite, costumes ouvragés, jeux de lumière, décors loufoques ou solennels : tout est mis au service d’une atmosphère où l’Histoire se mêle au drame personnel. L’objet bande dessinée est enrichi d’un dossier historique signé Pauline Valade, avec extraits des archives diplomatiques, qui permet de plonger dans le contexte, de mesurer à quel point les “doubles jeux” du titre sont autant politiques que personnels.

Doubles jeux ne se contente pas de ressusciter une époque lointaine, il la médite – sous l’angle de l’identité, de la liberté de genre, du scandale social.

Le Chevalier d’Éon, figure pionnière de ce que nous appellerions aujourd’hui une existence non-binaire ou fluide, traverse l’Histoire avec courage. Le roman graphique le montre non comme curiosité, mais comme personnage qui a façonné – par ses choix, ses postures – le lent glissement des normes.

Doubles jeux est une invitation : à porter un regard plus souple, plus sensible, sur le costume, le masque, le genre. Il offre au lecteur ce luxe : celui de contempler les contradictions, les renoncements, les éclats de liberté, tout en admirant l’élégance du trait, la pose dramatique, le verbe silencieux entre deux cases.

Editions Flammarion

 

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