Le siècle dans le regard d’une vie écartelée
Il faut du courage pour entrer dans la peau d’une centenaire coréenne, pour exposer ses confidences les plus sombres et ses métamorphoses — et encore plus pour le faire sans se complaire dans le mélodrame. Mirinae Lee y réussit magistralement avec Les 8 vies d’une mangeuse de terre, un roman qui n’est pas seulement une autobiographie fictionnelle, mais un duel intime entre mémoire, identité et mensonge.
Une héroïne, huit identités, un pays en regard
Le personnage central, Mook Miran, approche du siècle et croyait ses secrets enterrés, jusqu’à ce qu’une employée d’une maison de retraite l’invite à les partager — trois mots pour raconter toute une existence. Trois mots lui paraissent d’abord insuffisants, et elle en choisit sept : esclave, reine de l’évasion, meurtrière, terroriste, espionne, amante, mère. Sept visages d’une femme qui a dû composer, au fil des années, avec une Corée en déchirure — guerre, occupation, division, modernisation, mémoire blessée.
Est-ce le récit véridique d’une vie ou bien l’affabulation d’une mémoire qui se réécrit ? Peu importe : c’est dans cette zone floue que Mirinae Lee excelle. Le lecteur se trouve embarqué dans une navigation entre vérité et mythe, entre confession et fable, dans laquelle chaque mot pèse comme une pierre de mémoire.
Mirinae Lee ne s’épanche pas. Elle écrit comme l’on esquisse un portrait à la plume d’oie : traits précis, ombres savamment placées, ratures que l’on imagine presque. Le style est sobre mais cruel : les scènes du passé surgissent comme des flashs, les silences portent tout autant de vérité que les aveux, et les gestes intimes deviennent des actes de résistance.
Le roman joue avec les frontières temporelles : l’Histoire coréenne – ses occupations, ses guerres, sa division – ne se contente pas d’être décor : elle est le sol sur lequel Mook Miran marche, chancelle, reconstruit ses masques.
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