Vertige pop et fureur juvénile à Taipei
Entre hyperréalisme brutal et délire stylisé, Gangs of Taïwan, premier long-métrage fulgurant du réalisateur Keff, impose une nouvelle voix du cinéma taïwanais contemporain. Sur fond de guerre de clans adolescents dans une Taipei nocturne et électrique, le film livre une tragédie urbaine ultra stylisée, où la violence devient langage, et la jeunesse, un champ de ruines poétique.

Présenté avec fracas à la Semaine de la Critique à Cannes, Gangs of Taïwan confirme l’émergence d’un cinéma asiatique décomplexé, pop et politique, flirtant autant avec la série B que l’art contemporain, dans la lignée de Wong Kar-wai ou Sono Sion.
L’histoire part d’un fait divers : un adolescent poignardé lors d’un règlement de comptes entre bandes rivales. Un meurtre presque banal dans la jungle urbaine de Taipei. Mais Keff en tire une matière incandescente : la ville devient une arène mentale, les protagonistes des anti-héros adolescents perdus entre loyauté, solitude et pulsion de mort.
La caméra glisse d’un personnage à l’autre avec une nervosité fluide, embrassant les codes du thriller, du film de gang et du teen movie, mais toujours à contre-pied. Ici, les lames brillent sous des néons roses, les corps tombent en silence, et l’ennui adolescent dégénère en chaos.
Visuellement, Gangs of Taïwan est un choc. Keff revendique une écriture visuelle flamboyante, aux couleurs saturées, aux cadres millimétrés, aux ralentis stylisés. Le résultat : une œuvre à la fois violente et belle, trash et élégante, où la forme devient l’expression même du fond — une jeunesse qui cherche sa place, quitte à tout détruire.
La bande-son électro, industrielle et hypnotique, accentue cette atmosphère tendue, presque irréelle, où le danger rôde à chaque coin de rue. Et pourtant, derrière cette fureur visuelle, affleure une profonde mélancolie, presque pudique. Keff filme ses jeunes voyous comme des enfants perdus, piégés dans un monde sans issue.
Plus qu’un film de genre, Gangs of Taïwan est aussi un regard social acéré, qui capte l’angoisse existentielle d’une génération entre déracinement, désœuvrement et besoin de reconnaissance. Sans jamais tomber dans le misérabilisme ou la démonstration, Keff dresse le portrait vibrant d’une jeunesse en chute libre, aussi lucide que poétique.
Porté par un casting non-professionnel magnétique et une direction d’acteurs au cordeau, le film impressionne par sa maturité, sa cohérence et sa capacité à mêler le chaos et la grâce.








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