Obsession photographique entre fiction et réel
Il est des livres qui ne sont pas que des objets à feuilleter, mais des fragments d’obsession à travers lesquels se rejoue, image après image, un trouble diffus, adolescent et infini. Avec The Virgin Suicides, la légendaire photographe Corinne Day revisite le roman culte de Jeffrey Eugenides dans une mise en scène éthérée et crue, tout en conservant l’empreinte brute qui a fait d’elle une figure majeure de la photographie des années 90.
Publié chez Mack Books, ce livre est une déclaration d’amour à la jeunesse évanescente, à la féminité fragile, à la fiction vécue comme un souvenir.

Corinne Day, photographe autodidacte et figure du mouvement « dirty realism » britannique, célèbre pour ses clichés de Kate Moss et ses collaborations avec The Face ou i-D, explore ici un univers visuel fantasmé, en résonance troublante avec l’atmosphère du roman. Les cinq sœurs Lisbon, figures fantomatiques de la littérature contemporaine, deviennent les muses silencieuses d’un récit photographique qui glisse sans cesse entre l’image mise en scène et l’instant capté.
Les adolescentes photographiées — cheveux en bataille, peau nue, regards absents ou brûlants — évoquent un monde suspendu, à la fois sensuel et mélancolique. Il y a dans chaque page une tension poétique, entre la lumière naturelle presque divine et la gravité souterraine du drame à venir.

À travers son objectif, Corinne Day ne raconte pas littéralement l’histoire du roman. Elle en traduit l’essence : la chaleur poisseuse de l’été américain, la confusion des sentiments, la beauté entêtante d’une jeunesse observée à distance. Les images, majoritairement prises dans les années 1990, sont ici réassemblées avec une logique narrative quasi cinématographique — comme si les Lisbon avaient existé, quelque part, à travers son regard.
Mack Books, maison d’édition d’art exigeante, offre à ce projet un écrin à la hauteur : papier mat, reliure élégante, mise en page aérée, sans fioritures. Le livre est silencieux, comme les héroïnes qu’il évoque. Et pourtant, il parle fort.

Corinne Day nous a quittés en 2010. Ce livre, publié à titre posthume, agit comme une capsule émotionnelle : il donne à voir une facette intime de son travail, moins mode, plus hantée, où l’imaginaire flirte avec l’autobiographique. Le titre, bien sûr, n’est pas anodin : The Virgin Suicides n’est pas seulement un roman culte, c’est une métaphore de cette époque où la lumière et la chute cohabitent. Corinne Day, elle aussi, photographiait l’adolescence comme un moment déjà perdu.








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